La fin de l’automne en Bulgarie est le temps de la préparation des précieuses conserves de fruits et légumes, qui en bocaux ou surgelés enrichiront le menu familial jusqu’au printemps prochain. Avec en tête la ménagère et ses recettes secrètes, les recrues de la famille se réfugient dans la cuisine ou dans le potager pour de longs jours de labeur culinaire. Les  modes de conservations préférés ce sont les turchi ou légumes marinés, tels que les cornichons, poivrons, carottes, choux, chou-fleur qui accompagneront la rakia / marc de raisin/ à l’entrée des repas d’hiver. Il y a aussi la liutenitsa, ou caviar de poivrons rouges grillés avec des tomates, que l’on fait compoter pour ensuite la conserver en bocaux.

Pour les habitants de Sofia, le « Marché des femmes » est l’endroit idéal pour se procurer ces légumes à des bons prix.

Ce mois de novembre il fait très beau et les mères de familles font le tour du marché pour acheter en grandes quantité ce dont elles ont besoin. Les étals ressemblent aux tableaux de nature-morte des maitres hollandais. L’orange des potirons, le rouge des poivrons, le blanc du chou-fleur, le vert des pommes, poires, concombres, le bleu des prunes captent les regards. L’œil avisé des ménagères ne se laisse pas envouter par la beauté des couleurs et inspecte tous les détails de la marchandise qui va être transformée en une spécialité faite maison. C’est ce que fait aussi Yordanka Miteva, qui depuis toujours est en charge de la préparation des conserves d’hiver pour toute la famille. Elle est d’autant plus motivée, que ses petits-enfants adorent ses spécialités.

« A la maison, nous faisons tout tous seuls – les turshi, le choux en saumure, tout. C’est moins cher parce que c’est fait maison, mais aussi c’est plus gouteux, car nous les préparons selon notre gout. De même, je fais la liutenitsa et les confitures moi-même. Je n’ai pas confiance dans les produits industriels, les légumes en saumure sont vendus dans des grands bocaux avec cinq poivrons dedans. Le reste c’est de l’eau et du sel »

Pendant que nous parlons, elle s’approche de l'étalage de Trifon Naydénov, producteur et marchand de fruits et légumes âgé de 71 ans. Il vend sa propre production, mais aussi des conserves maisons, que les femmes dans sa famille préparent selon des recettes, qui se transmettent de mère en fille. Trifon pense, qu’il a découvert une niche économique qui peut être profitable.

« Les jeunes gens préfèrent acheter les conserves maison, selon des recettes traditionnelles, car elles sont meilleures que les produits industriels. Ils préfèrent ne pas perdre du temps pour cuisiner eux-mêmes, car ils n’y connaissent pas grand-chose. La différence entre le fait maison et le produit industriel est énorme. Les légumes conservés et vendus au supermarché sont faits de produits de qualité inférieure. Moi, je suis producteur moi-même et je vends des légumes de très belle qualité. Et le plus important, je fais mon travail avec amour. »

Reconnaissons-le, nous les Bulgares, comme tous les gens de sud, nous aimons manger de bonnes choses et les préparer à la maison. Pendant les années de transition beaucoup pensaient que les conserves maison étaient une survivance du socialisme, car à l’époque on compensait ainsi les pénuries de l’économie planifiée. Mais ces dernières années, on voit que beaucoup de Bulgares reviennent à cette la tradition domestique, qui est bien plus ancienne que le socialisme.

Evguénia Tonéva est chercheur ethnographe. Depuis des années elle étudie les pratiques culinaires dans les familles bulgares et selon ses données deux tiers des Bulgares préparent leurs propres conserves. Elle observe également des différences entre les habitants des grandes villes et des villages, entre ménages de différents niveaux d’éducation, entre jeunes et vieux. De toute évidence, la tradition des conserves maison pour passer l’hiver renait de plus belle. 

Version française : Miladina Monova