Le 1er février est la date à laquelle depuis 2011 la Bulgarie commémore les victimes du régime communiste. Cette date n’est pas choisie au hasard – à ce jour, le Tribunal du Peuple nommé par le gouvernement du Front populaire a prononcé un nombre considérable de sentences de mort contre tous les responsables politiques du régime pro-Nazi bulgare, dont des ministres, députés, régents et conseillers du tsar mineur Siméon II, ainsi que des militaires, journalistes et éditeurs en chef de la presse pro-allemande. Parmi les exécutés, il y a de nombreux représentants de l’élite bulgare dont la responsabilité personnelle n’a pas été formellement établie, y compris des opposants non-communistes au nazisme. Cet épisode de l’histoire bulgare divise encore aujourd’hui l’opinion publique et les historiens n’ont pas encore dépouillé toutes les archives pour apporter l’éclairage nécessaire.
Avec l’instauration du régime communiste après 1944, la Sécurité d’État (1925-1990) est reformée et dirigée à l’encontre des opposants intérieurs et extérieurs au pays.
La journaliste Maria Dermendjiéva et l’historien Momtchil Métodiev sont parmi les pionniers dans la recherche sur cette question. Ils viennent de publier leur ouvrage « La Sécurité d’État ou les avantages en héritage », qui étudie les biographies professionnelles de 47 officiers de la Sécurité de l’État communiste. Vesséla Vladkova les a rencontrés pour apprendre plus sur les principales conclusions de cette recherche menée sur quatre ans.
Avec ce livre, les deux chercheurs ont voulu mettre l’accent sur l’héritage des services secrets, un héritage qui continue à peser sur la société bulgare et qui est responsable en partie de la difficile transition vers la démocratie. Pour Maria Dermendjiéva, 26 ans après la chute du régime , il n’est pas trop tard pour interroger ce passé.
« Rappelons que pour avoir accès aux dossiers de la Sécurité d’État, il a fallu attendre 17 ans. Et ce n’est pas surprenant. Le Parti socialiste bulgare, qui est l’héritier direct du PCB a gagné les premières élections démocratiques en 1990. A cette époque, l’élan démocratique était plutôt concentré sur le processus électoral et la question de l’examen des dossiers secrets des responsables politiques est restée entre les mains des anciens communistes. Ils n’avaient aucun intérêt de le faire, et ils ont pu imposer tout un discours sur la Sécurité d’Etat communiste comme un organe légitime qui a travaillé au nom de la sécurité nationale, avançant que les officiers étaient des patriotes, etc. Cela a été plus tard contesté et alors les recherches en archives ont démarrées ».
L’historien Momtchil Métodiev revient plus en arrière, en posant la question pourquoi la Bulgarie n’a pas rendu publics les dossiers des services secrets dès le début de la transition démocratique, afin de pouvoir étudier et mettre en lumière la machine de répression de la Sécurité d’Etat. « Si ces dossiers pouvaient être consultés dès les années 1990, l’histoire de la Bulgarie des 26 dernières années aurait été différente », souligne Momtchil Métodiev. Car selon lui, « l’élite de la transition est restée intimement liée aux services secrets communistes qui ont continué à façonner l’opinion publique ».
Selon l’historien, la Bulgarie en ce sens n’est pas beaucoup plus en retard que les autres pays ex-communistes, mais elle a perdu des années précieuses pour l’apprentissage et la formation des valeurs démocratiques. Au lieu de prendre cette question au sérieux, les Bulgares ont développé un sentiment de "je-m'en-foutisme".
« C’est la caractéristique principale de la Sécurité d’Etat, explique Momtchil Métodiev. Une de nos thèse c’est que ce je-m'en-foutisme s’est développé à partir des années 1990, dans les milieux où les anciens officiers des services secrets avaient la possibilité d’exercer de l’influence, y compris dans le milieu des affaires. Actuellement en Bulgarie il existe une tension entre cette élite clientéliste et la classe moyenne normale qui s’est constituée par ses propres efforts ».
Après le démantèlement des structures du renseignement de l’époque communiste, ses agents se sont convertis au business en utilisant leurs carnets d’adresse. Ils sont arrivés ainsi à accumuler de l’influence et des capitaux. Selon les chercheurs ils sont aussi responsables du retardement de la privatisation en Bulgarie. Pour Maria Dermendjiéva, il y a aussi un autre point à relever :
« Ces réseaux de l’ombre sont jalousement gardés par le nouveau Service du renseignement qui se met en place après 1989. La conséquence en est la fusion entre milieux des affaires et structures d’Etat. Ces relations n’ont jamais pu être révélées au grand jour, précisément à cause du refus des responsables politiques d’autoriser l’ouverture des dossiers des services secrets communistes. C’est ce qui a créé chez les gens un sentiment d’impuissance face à une force avec laquelle on ne peut se mesurer, car on ne fait pas partie de ce milieu ».
C’est pourquoi dans le titre les auteurs font référence aux privilèges que ce statut a apporté aussi à tous ceux qui en sont les héritiers.
Version française : Miladina Monova
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