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Les pieds sur la braise…

Photo: BGNES
C’est la ferveur qui transcende les limites du réel et qui se mue en fascination aux portes de l’univers du mysticisme. La danse sur la braise, interprétée par les fameux « nestinari », nous transporte dans la Strandja, une montagne chargée de légendes

La danse sur braise, appelée « nestinarstvo », est un pont entre le passé et le futur. Elle dévoile un petit fragment de l’héritage culturel des Bulgares. C’est un phénomène unique et presque inconnu en Europe qui n’a pas pris une ride au fil des siècles. Un phénomène qui reste toujours une énigme, un mystère qui pose beaucoup de questions sans donner de réponses…

La danse sur la braise est un des plus anciens rites des Balkans. Elle a survécu les poursuites des fanatiques chrétiens, musulmans et communistes. Son histoire, stigmatisée par l’église orthodoxe et prohibée par le gouvernement communiste bulgare nous fait remonter à l’époque des Thraces. Les Thraces, qui célébraient le soleil, le reconnaissaient comme un de leurs dieux principaux et qui croyaient en l’immortalité.

Pour en revenir à la Strandja, mère de la danse sur la braise, les vicissitudes du temps font que ce rituel soit de nos jours conservé en l’état au petit village de Bulgari, anciennement Urgari qui signifie bulgares. Un village devenu célèbre à l’occasion du 21 mai, fête votive des Saints Constantin et Hélène qui donnent lieu aux danses sur la braise…Et justement, parlons-en de cette danse mystique qui entraîne dans une véritable transe, les habitants du petit village de Bulgari qui dansent toujours pieds nus sur la braise brulante comme le faisaient leurs aïeux, il y a des millénaires. On n’apprend pas à danser sur la braise, on nait nestinare. Il faut croire que Dieu protége les « élus », qui doivent être des êtres intégres qui ne souhaitent aucun mal à personne. C'est seulement dans ces conditions qu'on ne sentira pas la chaleur des braises incandescentes. Les nestinares croient que la préparation spirituelle, les pieds froids, la musique monotone et le rythme de la grosse-caisse sont la clé du succès.

Ils commencent après le coucher du soleil. Le nestinare principal est un homme, arborant une chemise blanche et une ceinture rouge autour des reins. Il étend la braise en rond sur la place du village. Il n'y a aucun éclairage. Les spectateurs s'approchent en silence. Au-dessus des collines on n'entend que des coups résonnants de la grosse-caisse. Les nestinares dansent autour du rond de braise, les icônes à la main et soudain ils entrent dans la braise. Leurs pieds écrasent les charbons ardents. Parfois leurs pieds touchent à peine la terre, parfois ils pressent la braise pour l'éteindre. Leurs visages sont pâles, les yeux sont à moitié fermés. Les nestinares disent qu'ils atteignent un état de transe mental durant la danse et on pense qu'ils peuvent, au cours de cet état - là, prédire le futur.

Il serait intéressant de savoir comment une danse chrétienne ait transcendé dans le culte religieux du feu…Et pour répondre à cette question, il faut remonter à l’époque de l’empereur Constantin Ier qui était très attaché au feu, au christianisme auquel il a converti l’ensemble de l’Empire romain ce qui lui a valu la canonisation. C’est lui qui aurait donné l’autorisation aux danseurs sur la braise de pratiquer leur rituel incantatoire qui de nos jours brasse toujours d’immenses foules de curieux et de touristes bulgares et étrangers. Un grand nombre d’écrivains, de psychologues et d’ethnographes ont consacré des ouvrages entiers à cette pratique entourée de romantisme et de mysticisme.

Les ethnologues pensent que le rituel de la danse sur la braise est lié à la religion exstatique des Thraces qui tient ses origines des rites de Dyonisos. Il semblerait donc que les cris poussés par les danseurs durant la danse sont semblables à ceux caractérisant les mystères dionysiaques. Ils cherchent aussi l'étymologie du mot nestinare dans le mot grec "anastenazo'' (s'écrier, aspirer). Les danseurs sur la braise à Bulgari disent même que cette coutume est héritée de leurs arrières-grands-parents, que c'est leur devoir de chrétiens qu’ils accomplissent, et que s’ils le pratiquent c’est pour être en bonne santé, mais aussi pour que la récolte soit riche. Dans le cas contraire, s’ils tourent le dos à cette coutume, ce sont les maladies et la pauvreté qui rongeront leur communauté.

Très controversée dans le passé, persécutée même par l’église orthodoxe et le régime communiste, la danse sur la braise de la Strandja est de nos jours considérée comme le deuxième fleuron de la culture populaire bulgare, après le chant archaïque à deux vois des fameuses « mamies de Bistritsa ». Ce qui lui a valu, en 2009 l’inscription à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, une vraie reconnaissance mondiale et un gage de pérennité…

Présenté par Sonia Vasséva





По публикацията работи: Valia Bojilova


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