La diplomatie, c’est quelque chose de très subtil. Ceci est encore plus valable pour la diplomatie ecclésiastique. L’illustration en sont les discours du patriarche œcuménique Barthélémy et du patriarche bulgare Néophyte prononcés après une liturgie célébréé en la cathédrale “Alexandre Nevski” à Sofia.
Le patriarche Barthélémy a défendu sa position d’archevêque de Constantinople, Nouvelle Rome. Le leitmotiv de son discours était: “Je suis l’héritier des fondateurs de l’orthodoxie!”. Et il n’a pas cessé de mentionner “les circonstances tragiques parues entre-temps”, comme il appelle l’obstination de ses prédécesseurs du XIXe siècle de ne pas vouloir reconnaître l’indépendance de l’église bulgare. Et il a approuvé post factum la proclamation de l’Exarchat bulgare en 1872 comme schismatique, en désignant cet acte comme positif et s’opposant à l’ethnophylétisme “mortel”. Dans le même temps, Sa Sainteté est tombé dans la contradiction avec soi-même, en reconnaissant le respect total de la spécificité ethnique de chaque peuple, y compris le droit d’avoir son propre alphabet. Il n’a même pas hésité à citer la fameuse phrase sur l’empereur d’Allemagne Charles-Quint, la langue allemande et les chevaux du discours final du leader communiste Georgi Dimitrov à Leipzig lors du procès de l’incendie du Reichstag. Pourtant, la manière dont il s’adressait à Néophyte montrait que pour Constantinople l’Eglise bulgare était encore un exarchat, et non pas un patriarcat. Et il a évalué la suppression du schisme en 1945 comme un fait regrettable dicté uniquement par l’occupation des Balkans par Moscou, menaçant en général l’existence même de l’Eglise orthodoxe sur la péninsule.
De son côté, le patriarche bulgare Néophyte n’a pas manqué d’énumérer toutes les dates anniversaires de l’Eglise orthodoxe bulgare - 1150 ans depuis la christianisation, 1145 ans depuis la fondation du premier archevêché bulgare en 870, et surtout la restauration en 1235 du “haut statut patriarcal avec la connaissance et l’accord de tous les patriarches orthodoxes de l’époque”. Et au lieu de rappeller les vieilles hostilités, il a mis l’accent sur “l’unité séculaire au nom de Dieu de nos deux églises”. Ce qui voudrait dire tout simplement que nous sommes égaux et que toutes prétentions de suprématie de la part de Constantinople sont hors de question.
Mais le scandale ne s’est pas limité à ça. Lors de la cérémonie de son attribution de l’ordre “Stara Planina”, le patriarche œcuménique a posé officiellement la question du retour des objets et documents liturgiques saisis par Sofia pendant les guerres de monastères près de Serrès et Dráma - une question réglée depuis longtemps tant bien par des accords bulgaro-grecs bilatéraux que par les conventions internationales.
Qui sont les gagnants et les perdants de ce scandale? Le grand perdant est, bien sûr, le patriarche œcuménique lui-même qui jusqu’ici jouissait d’une très bonne réputation tant bien auprès des croyants qu’auprès des laïques qui connaissaient bien ses activités dans le domaine de l’écologie, la lutte contre la pauvreté et la protection des chrétiens au Proche-Orient. Ses revendications exprimées à Sofia, ainsi que le manque de respect de sa part envers les médias, en refusant la rencontre avec eux annoncée préalablement, sont difficiles à avaler. Le président Rossen Plevnéliev a également fait une erreur en acceptant d’attribuer la plus haute distinction bulgare à Barthélémy, mais, contrairement à d’autres cas, il a réagi vite en avouant sa faute.
Sans aucun doute, le grand gagnant de cette situation désagréable est le premier ministre Boïko Borissov qui a refusé l’entretien prévu avec Barthélémy.