La distribution d’électricité en Bulgarie est un business privé totalement dominé par des compagnies étrangères. La société d’Etat tchèque CEZ est la plus grande dans le secteur avec pour clients 3 millions de Bulgares, dont ceux de la capitale Sofia. Elle a acquis le droit de distribuer de l’électricité il y a 14 ans en échange de 280 millions d’euros. Aujourd’hui les Tchèques ont décidé de mettre un terme à leur business en Bulgarie, évalué à 1 milliard d’euros d’actifs et à des bénéfices annuels de l’ordre de 50 millions en vendant la compagnie à la firme privée bulgare Inercom pour 360 millions d’euros. A première vue rien de bien extraordinaire – une cession-acquisition classique entre deux compagnies. Le rôle de l’Etat dans cette affaire ne pourrait être à la rigueur que de faire vérifier et approuver le contrat par la Commission de la concurrence. Formellement c’est tout ce que peuvent faire les autorités pour défendre les intérêts du pays et des consommateurs d’énergie électrique.
Mais en réalité cela ne s’est pas passé comme cela, loin de là. L’Etat est en branle-bas de combat persuadé que la vente de la compagnie tchèque à la bulgare Inercom menace la sécurité nationale et les intérêts des trois millions de clients bulgares de la CEZ. La ministre en charge de l’Energie Téménoujka Petkova, sur demande du premier ministre Borissov, a même donné sa démission qui cependant n’est toujours pas acceptée. Le parlement a interrogé la propriétaire d’Inercom Guinka Varbakova, 42 ans, le président de la République Roumen Radev étudie la possibilité de convoquer d’urgence le Conseil consultatif à la sécurité nationale, le premier ministre Boyko Borissov exige la majorité pour l’Etat dans CEZ.
La femme d’affaires bulgare a accepté de prendre l’Etat pour associé dans l’affaire tout en précisant cependant qu’il faut voir ce qu’en pensent les Tchèques qui, selon le premier ministre du pays Andrej Babiš, considèrent qu’avec la signature du contrat l’affaire est close. Mais pourquoi toute cette panique et ces tractations autour d’une transaction commerciale tout à fait ordinaire et courante entre des partenaires de deux pays membres de l’Union européenne?
La CEZ est spécialisée dans l’énergie et sa réputation est irréprochable et ne pose pas de problèmes. Il en va autrement en ce qui concerne l’acheteur bulgare Inercom. Personne n’avait entendu parler dans l’espace public de cette compagnie jusqu’au moment où il a été annoncé qu’elle reprenait les affaires de CEZ en Bulgarie, un business considéré comme stratégique pour la Bulgarie. Cette mystérieuse transaction a alimenté de nombreuses rumeurs et des spéculations en posant en premier lieu la question de l’origine des finances nécessaires pour acquérir le géant électrique tchèque. Pour le moment, les observateurs et les experts sont d’avis qu’Inercom n’est qu’une façade derrière laquelle et à l’aide de compagnies off-shore se cachent les véritables futurs propriétaires, on a aussi lancé l’idée de marionnettistes douteux venus des ex-républiques soviétiques et autres scénarios connus des premières années de l’économie de marché en Bulgarie. Les seuls faits noir sur blanc pour le moment concernent la propriété sur 4 petits parcs photovoltaïques, le refus de gérer à l’avenir quelques parkings publics dans la ville de Pazardjik et le départ du mari de Guinka Varbakova de quelques-unes de ses firmes. Cette restructuration du business d’Inercom n’a à première vue à voir avec l’affaire CEZ. D’un autre côté cependant elle est éloquente quant à l’envergure, les possibilités financières, les compétences et les qualités professionnelles d’Inercom. Il est évident que son potentiel est loin du nécessaire quand on a 3 millions de clients et qu’on porte la responsabilité pour la distribution d’électricité à la moitié de la Bulgarie. Après quelques jours de silence, la propriétaire de la compagnie provinciale de la ville de Pazardjik Guinka Varbakova n’a cessé de s’expliquer en public et d’essayer de convaincre le public que tout avec cette affaire est en règle, qu’elle est avantageuse pour la société et le pays. Du côté de la CEZ tchèque on n’a pas tardé non plus d’’expliquer qu’il s’agit d’une affaire normale qui ne menace personne et que tout sera comme sur des roulettes.
On ne sait pas quelle sera la fin de cette affaire – une véritable privatisation ou une renationalisation à contrecœur. Ou bien tout tombera à l’eau sous les pressions et les intérêts politiques et économiques. Tout dépendra des pourparlers de Varbakova à Prague avec les chefs de CEZ cette semaine qu’elle essaiera de convaincre d’accepter dans l’affaire l’implication de l’Etat bulgare. Rappelons dans ce contexte que CEZ a déposé au tribunal d'arbitrage une plainte contre l’Etat bulgare pour des dizaines de millions d’euros. C’est pour dire que les Tchèques ne seront certainement pas très contents d’avoir pour partenaire les autorités officielles bulgares. Il est fort probable d’autre part que la Commission européenne ne donne pas son feu vert à l’acquisition qui paraît contraire aux règles en vigueur sur le marché de l’énergie dans l’UE. Le ministre des Finances Vladislav Goranov a pour sa part suggéré que l’Etat rachète Inercom en paquet avec la CEZ déjà payée. La situation est tellement compliquée que le parlement bulgare a décidé d’urgence d'adopter des amendements à la Loi sur l’énergie dans les deux prochaines semaines, de manière à ce que les paramètres et les acteurs dans ce drame se comportent conformément aux intérêts stratégiques du pays et des usagers. Et pendant que les gouvernants réfléchissent sur les amendements appropriés à la loi, il faudrait certainement qu'ils réfléchissent aussi en profondeur sur les raisons qui font que des investisseurs stratégiques du rang de CEZ quittent le pays. Affaire à suivre...
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